Contribution à la Commission sénatoriale sur l'impact du narcotrafic
Mesdames et Messieurs les Sénateurs
Commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France
Paris, le 20 mars 2024
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Ayant pris connaissance prise des auditions menées par vos soins depuis le 27 novembre 2023 dans le cadre des travaux de votre commission, et étant rappelé à titre préalable que la lutte contre la criminalité organisée et le trafic de produits stupéfiants est une priorité de politique pénale que les avocats citoyens que nous sommes comprenons parfaitement, l'Association des Avocats Pénalistes (ADAP) tient à vous faire part des réflexions suivantes :
- Le manque de moyens, considérable et persistant, affectant les services d'enquête et de justice à tous les stades de la procédure, rejaillit sur l'exercice des droits de la Défense et les conditions d'exercice des avocats (vétusté des locaux de police, sous effectifs des policiers, greffiers et magistrats qui entraînent un allongement démesuré des délais de procédure et partant, des délais de détention, difficulté d'audiencement des dossiers volumineux... .).
- Ce manque de moyens ne saurait être compensé par un recul des droits de la Défense comme cela a été suggéré par plusieurs Intervenants aux propos éminemment contestables. L'ADAP rappelle solennellement que le contentieux des nullités de procédure n'est pas une stratégie de défense dilatoire mais une garantie essentielle consacrée par le législateur pour prévenir l'arbitraire et protéger les droits fondamentaux. Les délais d'examen de ces requêtes, leur modeste taux de réussite devant les chambres de l'instruction et la Cour de Cassation démontrent si besoin en était qu'elles ne peuvent être considérées comme constituant une stratégie de défense systémique (le seraient-elles qu'elles n'en seraient pas plus critiquables). Les prévenus sont les premières victimes du manque de moyens à ce stade de la procédure puisque leur détention provisoire s'en trouve mécaniquement rallongée.
- La Défense n'a pas à être « constructive » comme cela vous a été suggéré, elle doit rester libre et maîtresse des options stratégiques mises en œuvre dès lors qu'elle s'exerce dans le respect des règles prévues par notre procédure pénale.
- L'ADAP rappelle que depuis plusieurs années, les pouvoirs intrusifs et coercitifs des enquêteurs ont été largement étendus en matière de criminalité organisée (sonorisation, captation des correspondances, activation à distance des téléphones aux fins de géolocalisation, poses de balises, infiltrations, perquisitions de nuit. . . ) d'une façon qui nous apparaît largement déséquilibrée et qui le serait d'autant plus si les préconisations qui vous ont été faites étaient suivies d'effet. A ce titre, la mise en place d'une procédure dite « coffre », consistant à écarter les avocats du contrôle de la procédure, serait un recul inédit des garanties apportées aux citoyens face aux atteintes exorbitantes du droit commun à nos droits et libertés. Enfin, et ce devrait être un truisme plus qu'une réflexion, l'ADAP répète que si des requêtes en nullité aboutissent, c'est qu'il y a eu violation de la règle de droit par un enquêteur ou un magistrat et qu'il n'est pas concevable que ces violations soient entérinées sans possibilité d'exercer une voie de recours.
- Les conditions de détention en France sont de plus en plus déplorables et conduisent à sa condamnation récurrente par des instances nationales et supra-nationales. Le passage en prison, compte tenu de l'absence d'activités, de soins et de formation est un facteur de désinsertion, de fragilisation psychologique et physique, et in fine, de favorisation de la récidive, contrairement aux missions dévolues à la prison par le code pénal lui-même. Au sein de nos établissements pénitentiaires, le régime dit d'isolement a été qualifié de « torture blanche » par la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) par ses effets dévastateurs sur ceux qui le subissent (altération des sens, déstabilisation des repères spatio-temporels, décompensation psychologique, etc. . . ) Il n'est donc pas concevable pour l'ADAP que ce régime, qui devrait avoir totalement disparu ou avoir été limité à des cas d'extrême nécessité, puisse être généralisé à la matière des infractions à la législation sur les stupéfiants.
L'ADAP préconise donc une réflexion sur les moyens accordés à la police et à la Justice en la matière plutôt qu'une énième réforme législative ne visant qu'à étendre encore les atteintes aux droits et libertés fondamentales dans la traduction juridique d'un discours populiste. Ce n'est certainement pas en entravant la défense que des résultats seront obtenus en la matière contre les trafiquants ; c'est en revanche le meilleur moyen de porter atteinte à notre Etat de droit et à notre démocratie contre tous les citoyens de ce pays.
Restant à votre disposition pour tous renseignements complémentaires,
Veuillez croire, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, en nos salutations distinguées.
Karine BOURDIÉ et Romain BOULET, co-présidents
Pour en savoir plus sur les travaux de la commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier : voir sur le site du Sénat
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Tribune publiée dans Le Monde le 29 mars 2024
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